Suzanne Lebeau possède une grande curiosité intellectuelle qui s’étend de la philosophie à la sociologie, en passant par la psychologie et bien sûr, par la littérature. Lectrice avide, elle nous a mentionné son intérêt pour les classiques, notamment pour le cycle de Rougon-Macquart d’Émile Zola que nous vous invitons à découvrir.
Émile Zola : « J’en suis donc parvenu à ce point : le roman expérimental est une conséquence de l’évolution scientifique du siècle ; il continue et complète la physiologie, qui elle-même s’appuie sur la chimie et la physique ; il substitue à l’étude de l’homme abstrait, de l’homme métaphysique, l’étude de l’homme naturel, soumis aux lois physico-chimiques et déterminé par les influences du milieu ; il est en un mot la littérature de notre âge scientifique, comme la littérature classique et romantique a correspondu à un âge de scolastique et de théologie. » (Le Roman expérimental)
Le XIXe siècle en est un de bouleversements politiques, sociaux, artistiques et scientifiques. La science particulièrement, est vue comme le triomphe de la raison, un moyen qui permet de faire avancer toute l’humanité. C’est une ère positiviste où le Progrès est élevé au rang de religion. La science infiltre alors plusieurs sphères et les découvertes scientifiques viennent rapidement trouver application dans la vie quotidienne: l’hygiène, l’économie, le transport, le travail, etc. L’évolution est une préoccupation persistante en effet, si certains croient à une évolution constante de la civilisation vers le progrès, d’autres estiment que la société est plutôt en dégénérescence et que le futur sera noir et triste. Les scientifiques constatent une dégradation des performances physiques, de la fertilité, de la mortalité infantile. Un pessimisme quant à la dégénération européenne dont on attribue les signes aux désordres publics, aux crimes, à l’alcoolisme, à la perversion morale, aux abus de drogues et à ce que l’on présume comme des perversions sexuelles. On qualifie aussi certaines oeuvres comme étant de l’art dégénéré. Des scientifiques ébauchent des théories, certaines farfelues, d’autres sinistres, quant à la transmission de cette dégénérescence d’une génération à l’autre. Cesare Lombroso, professeur italien de médecine légale, formule une thèse sur l’idée d’un criminel né, c’est-à-dire que certaines personnes, aux caractéristiques physiques distinctes auraient un comportement délinquant inné, transmis par les parents. Cela s’oppose donc aux thèses sociologiques pour qui le comportement serait une conséquence du milieu. L’ouvrage de Lombroso fut réédité à maintes reprises et connut un retentissement important dans les milieux de la médecine légale et de la criminologie, mais aussi dans le milieu artistique. L’idée de la transmission devint au coeur de projet d’Émilie Zola pour les Rougon-Macquart.
Le jeune auteur est passionné de la Comédie humaine de Balzac, oeuvre qui avait l’ambition de décrire les hommes, les femmes et les choses de toute une société. En 1868, Zola décide d’écrire une fresque immense qui elle racontera l’Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire. À la différence de Balzac, Zola souhaite se concentrer sur une seule famille, à travers plusieurs générations, étudiées selon un modèle scientifique. Il est influencé par Claude Bernard, un des principaux initiateurs de la démarche expérimentale. Il construit un arbre généalogique qui regroupe tous ses personnages avec une description de sa vie, son hérédité et son métier. Il construit le cycle de 20 romans autour de l’hérédité des personnages. Ainsi, une tare génétique se transmettra de génération en génération. On y suit l’histoire de la branche Rougon: des petits-bourgeois de province et la branche Macquart: les bâtards, paysans, braconniers, alcooliques. L’origine est une femme, Adélaïde Fouque, qui aura un premier fils de son jardinier Rougon et deux autres enfants du contrebandier Macquart. Ce sont ces enfants et leurs descendants sur quatre générations qui peupleront les romans du cycle.
Par ses écrits et ses prises de position, Zola devient le chef de file du mouvement naturaliste. Les artistes naturalistes souhaitent montrer la société telle qu’elle est, sans illusion ou tabou. Ils s’inspirent de la méthode scientifique et émettent des hypothèses, font une recherche documentaire poussée sur le sujet puis expérimentent dans leurs écrits. Les auteurs naturalistes rejettent la poésie, le lyrisme et l’imaginaire au profit de l’observation du réel, de l’analyse et de la logique. Ils tentent de rendre compte d’une réalité en la décrivant avec minutie dans leurs romans sans émettre de jugement moral sur les personnages, le milieu ou le dénouement. Zola décrira plus abondamment les racines de ce mouvement dans son texte Le roman expérimental.
Le mouvement naturaliste triomphera en Europe à la fin du XIXe siècle et les romans de Zola ne seront pas en reste. Il est à noter que malgré le succès de ses romans, Émile Zola n’est pas à l’abri de plusieurs scandales littéraires, notamment avec l’Assommoir, qui décrit sans fard les ravages de l’alcoolisme, avec Nana qui montre le monde des demi-mondaines et où on accuse Zola de faire dans la pornographie par son goût sordide du détail cru. Le cycle des Rougon-Macquart demeure extrêmement populaire auprès des lecteurs du monde entier, il est étudié en classe et plusieurs adaptations télévisuelles et cinématographiques en ont été faites.
Liste des romans du cycle
• La Fortune des Rougon (1871)
• La Curée (1872)
• Le Ventre de Paris (1873)
• La Conquête de Plassans (1874)
• La Faute de l’abbé Mouret (1875)
• Son Excellence Eugène Rougon (1876)
• L’Assommoir (1877)
• Une page d’amour (1878)
• Nana (1880)
• Pot-Bouille (1882)
• Au Bonheur des Dames (1883)
• La Joie de vivre (1884)
• Germinal (1885)
• L’Œuvre (1886)
• La Terre (1887)
• Le Rêve (1888)
• La Bête humaine (1890)
• L’Argent (1891)
• La Débâcle (1892)
• Le Docteur Pascal (1893)
Liens:
Arbre généalogique des Rougon-Macquart
Exposition en ligne sur Émile Zola par le Bibliothèque nationale de France.
L’oeuvre magistrale d’Émiel Zola : Les Rougon-Macquart, France Inter
Posted on juin 15, 2012